
Érigée « grande cause nationale » pour l'année 2025 en France, la santé mentale s'impose comme un enjeu majeur dans notre société, notamment au travail. D'après une étude publiée par l'agence de conseil en ressources humaines Ignition Program puis relayée par Carenews et Focus RH en janvier 2024, près de 40 % des salariés français considèrent être en souffrance et/ou être soumis à des niveaux de stress élevés. Ces chiffres alarmants nous invitent à nous pencher sur deux phénomènes particulièrement préoccupants : le burn-out et le bore-out.
Ces deux syndromes, bien que différents dans leurs manifestations, traduisent un malaise profond dans notre rapport au travail. À l'heure où les frontières entre vie professionnelle et personnelle deviennent de plus en plus poreuses et où l'intelligence artificielle (IA) transforme radicalement nos méthodes de travail, il devient crucial de comprendre ces phénomènes pour mieux les prévenir. Face à ces enjeux, les entreprises, les managers et les professionnels des ressources humaines ont un rôle essentiel à jouer.
Comprendre le burn-out et le bore-out
Bien que souvent évoqués ensemble, le burn-out et le bore-out représentent deux facettes distinctes de la souffrance au travail. Ces deux syndromes, apparemment opposés dans leurs manifestations - l'un par le trop-plein, l'autre par le vide - peuvent paradoxalement conduire aux mêmes conséquences sur la santé mentale et physique des salariés.
Le burn-out : l'épuisement par l'excès
Le burn-out, ou syndrome d'épuisement professionnel, se caractérise par un état d'épuisement physique, émotionnel et mental profond. Il survient suite à un engagement intense dans des situations émotionnellement exigeantes et stressantes au travail. L'étude d'Ignition Program illustre l'ampleur du phénomène : l'épuisement physique touche 51 % des salariés interrogés en France.
Le bore-out : l'épuisement par l'ennui
Le bore-out désigne un syndrome d'épuisement professionnel causé par l'ennui et le manque de stimulation au travail. Ce concept fait écho aux « bullshit jobs » (« emplois à la con ») théorisés par l'anthropologue David Graeber dans un essai publié par le magazine de la gauche radicale britannique Strike! en août 2013, relayé par Libération. Il y décrivait ainsi « l'aliénation de la vaste majorité des travailleurs de bureau, amenés à dédier leur vie à des tâches inutiles et vides de sens ». En France, ce phénomène se manifeste notamment par une distance mentale au travail, autrement dit un désengagement ou de la résignation, touchant près de 40 % des salariés selon l'étude d'Ignition Program.
Les chiffres en France : une réalité préoccupante
Les résultats de cette étude révèlent trois principales manifestations de la souffrance au travail :
- l'épuisement physique : 51 % des répondants
- la distance émotionnelle : 40 % des personnes interrogées rapportent des difficultés à maintenir des relations avec leurs collègues et une perte d'empathie
- la distance mentale : 40 % des sondés évoquent un désengagement et des pensées récurrentes de démission
Des disparités significatives
L'analyse détaillée de l'étude révèle par ailleurs des disparités importantes selon les profils et les secteurs d'activité. Ces écarts significatifs mettent en lumière des populations particulièrement vulnérables et des secteurs plus exposés, permettant ainsi de mieux cibler les actions de prévention. Ils soulignent également l'importance d'une approche différenciée dans le traitement de ces risques psychosociaux (RPS).
Par profil :
- les jeunes de 18-25 ans sont les plus touchés (+12 % par rapport à la moyenne)
- les « managés » sont 20 % plus exposés que les managers
- les femmes présentent une surreprésentation de 20 % concernant le manque de confiance en soi
Par secteur d'activité :
- secteurs les plus touchés : énergie et transport (+44 %), secteur public et administration (+27 %)
- secteurs moins affectés : culture et médias (-26 %), start-ups et incubateurs (-55 %), immobilier (-28 %)
L'impact de l'intelligence artificielle
Depuis le début des années 2020, le déploiement massif de l'IA générative - ces intelligences artificielles capables de générer du texte, des images ou du code comme ChatGPT, Claude ou Gemini - a profondément transformé de nombreux métiers, particulièrement dans le secteur tertiaire. Cette révolution technologique a un double impact sur les risques psychosociaux :
Aspects positifs :
- automatisation des tâches répétitives à faible valeur ajoutée, ce qui peut potentiellement réduire le risque de bore-out
- assistance dans la prise de décision, ce qui peut alléger la charge mentale
- nouvelles opportunités de montée en compétences
Risques à surveiller :
- pression accrue pour « faire plus avec moins »
- sentiment de déqualification face à l'automatisation
- nouvelle forme de stress liée à l'adaptation constante aux outils d'IA
- questionnements sur la valeur ajoutée humaine
Perspectives et recommandations
Face à ces constats chiffrés et à ces enjeux complexes, le rôle des professionnels du recrutement s'avère crucial. Ma position privilégiée, à l'interface entre les entreprises et les candidats, me permet d'avoir une vision globale de ces problématiques et d'agir en amont. En tant que recruteur spécialisé dans les métiers du numérique et de la communication, je suis convaincu que la transparence quant aux missions confiées à un candidat et à la prévention des risques psychosociaux doivent être abordées dès le processus de recrutement, en portant une attention particulière à l'adéquation entre les attentes des candidats et la réalité des postes proposés.
Vous l'aurez compris, la prévention de ces risques, particulièrement dans ce contexte d'évolution technologique rapide, doit s'intégrer dès le processus de recrutement.
Quelles recommandations pour les entreprises ?
Dans ce contexte, les entreprises ont un rôle fondamental à jouer et ce à deux niveaux principaux.
Premièrement, au niveau du recrutement, où plusieurs actions sont essentielles. Il est crucial de définir des fiches de poste réalistes et équilibrées, qui reflètent fidèlement la réalité du travail attendu. L'évaluation de l'adéquation entre les attentes du candidat et la culture d'entreprise doit être systématique. De plus, les mécanismes de prévention des RPS en place doivent être présentés clairement dès les premiers échanges avec les candidats.
Deuxièmement, au niveau organisationnel, les entreprises doivent mettre en place une stratégie globale. Celle-ci doit inclure un suivi régulier des risques psychosociaux, une formation approfondie des managers à la détection des signaux faibles (l'irritabilité, la fatigue ou le désengagement par exemple) et l'établissement de parcours d'évolution clairs pour chaque collaborateur.
Quels conseils pour les candidats ?
Les candidats ont également un rôle actif à jouer dans la prévention de ces risques psychosociaux.
Pendant le processus de recrutement, il est essentiel d'adopter une démarche transparente et proactive. Cela signifie oser aborder ouvertement la question de l'équilibre professionnel, s'informer en détail sur les pratiques de l'entreprise en matière de prévention et clarifier ses attentes concernant la charge de travail et l'autonomie souhaitée.
Une fois en poste, cette vigilance doit se poursuivre. Il est important de maintenir un dialogue constant sur les conditions de travail, de participer activement aux formations proposées par l'entreprise et de ne pas hésiter à alerter sa hiérarchie ou les ressources humaines en cas de situation préoccupante.
Le défi pour 2025 et les années à venir sera double : créer des environnements de travail qui préviennent à la fois les maux de notre époque tout en accompagnant, encore et toujours, la transformation numérique. Il s'agit de trouver un équilibre entre innovation technologique et bien-être humain en misant sur un critère essentiel qui vaut pour les entreprises comme pour les candidats : la transparence.
Pour réussir cette transformation, une approche collaborative est indispensable. Recruteurs, employeurs et salariés doivent travailler de concert pour créer un environnement de travail sain et stimulant. L'humain doit être placé au centre des préoccupations, tout en tenant compte des évolutions technologiques et sociétales qui façonnent le monde du travail d'aujourd'hui. La tâche est complexe mais passionnante... et plus que nécessaire !

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